J’ai longtemps cru que le matin ne m’aimait pas, qu’il me délaissait encore engourdit de mes rèves pour s’occuper du monde, des autres. Je n’étais pour lui, qu’une ombre claire contournant des édifices fragiles, survolant un par un, les liens qui me retenaient à des souvenirs douloureux de la veille. Je croyais le matin ennemi du peintre. À part, sans doute, du Caravage qui fut le dompteur de la lumière de l’aube. Il est l’exception dont on fait les règles.
Aujourd’hui le matin est entré dans l’atelier comme un animal silencieux se glisse dans une maison, impatient du chant de la cafetière et de l’odeur du café. Ce matin est venu avant la froideur de la pluie tandis que je rallume le feu dans la cheminée. Une impression de déjà vu, de répétition, des dizaines de romans seront écrits pour décrire cet instant, des poèmes lus. Ce matin, alors que la maison dort encore, je suis descendu à l’atelier, ici l’alchimie des toiles blanches et de pigments odorants semble pétrifiée.
Je garderai cette aimable douleur en moi-même, j'en ferai des réserves. Alors ce matin : je vais en faire une toile…