" j'avais tiré cette conclusion que les hommes qui trempaient le plus dans la vie, qui la moulaient, qui étaient la vie même, mangeaient peu, dormaient peu, ne possédaient que peu de biens, s'ils en avaient. Ils n'entretenaient pas d’illusions en matière de devoir, de procréation, aux fins limitées de perpétuer la famille ou de défendre l'état. Ce qui les intéressait, c'était la vérité, rien que la vérité. Ils n'accordaient de valeur qu'à une forme d'activité: créer."
Henry Miller
Nul n’a jamais pensé à quoi ressemblerait sa vie s’il avait été au mauvais endroit, au mauvais moment, souvent pour de mauvaises raisons. Non sous un orage ou un pot de fleurs tombant du 6e étage, mais plutôt sous ce genre de déluge d’évènements qui tournent mal et foutent votre vie en l’air. Chacun de nous se comporte comme si le déroulé du destin était sans importance. Un peu comme un envol d’oiseaux au passage d’un camion. Pareil au vaisseau dans la bourrasque, qui d'instinct se présente tout debout à la lame.
Lui, se dit que s’il commençait à se demander ce que pourrait être sa vie autrement, il se sentirait enfermé en lui-même, pris au piège comme dans d’un vieux dessin animé tournant en boucle et en accéléré ou le chat court sans fin et sans espoir après la souris.
Pourtant, parfois, en montant à bord du bateau reliant un continent à une île, il se sentait en cavale, persuadé de déroger à des destinées toutes tracées. De Reggio de Calabria à Messine, de Bolivar Side à Galveston. Dans le parfum des tamarins et de la pluie tropicale à l’aéroport de Gillot ; lorsque personne n’attend et qu’il allait sans but précis, trouver une voiture de loc à un bon prix, traverser d’un pas calme la foule du hall d’arrivées. Éperdu d’incertitude sur ce qui allait se passer après le prochain pas.
Il avait alors l’impression d’un destin détraqué, fait de hasard, d'imprévu et de méprises offert à une longue histoire, qu’il incorporerait telle une lumière dans la tonalité lugubre de son passé.
Dessin préparatoire de la toile.
Si le destin est souvent pensé comme la « Force de ce qui arrive, et semble nous être imposé sans qu'aucune de nos actions n'y puisse rien changer. Épicure soutient qu’il existe une « liberté d’action » de l’homme, et même des choses, pouvant dévier ... L'épicurisme se singularise par rapport à tous les autres systèmes de l'Antiquité en niant l'existence du fatum : cette philosophie rejette l'éternelle prédétermination de la temporalité au nom du hasard et de la liberté. L’existentialisme de Sartre propose cette formule : « Je suis libre de devenir ce que je veux ; je vais choisir, tout au long de ma vie, ce que je serai ; et je peux à chaque instant devenir autre chose que ce que je suis à ce moment là. L’homme “n’est d’abord rien. Il ne sera qu’ensuite, et il sera tel qu’il se sera fait”. De là le premier principe de l’existentialisme : “L’homme n’est rien d’autre que ce qu’il se fait*” » … |